Le premier arrondissement, présentation par l’auteur Frédérique Guétat-Liviani

Le 1er arrondissement

Les poèmes ont été écrits après que nous avons dû quitter dans l’urgence notre logement de la rue des Abeilles dans le 1er arrondissement.

Les derniers   je les ai écrits juste avant de déménager pour venir habiter où je suis maintenant  boulevard Chave.

Entre 2003 à 2007 je crois.

C’était un moment de déplacement. A ce moment-là  tout s’est déplacé   même les choses que j’avais mis longtemps à poser.

La rue des Abeilles  c’était un endroit rond   il a fallu partir dans un immeuble plein d’angles aigus.

Le 1er arrondissement    comme les autres choses que j’écris   je les dessine avant.

Pour le 1er arrondissement   quelque chose s’est cassé   j’ai vu les morceaux par terre  et je les ai rassemblés.

La 1ère partie est un triangle isocèle   il est stable   dans les 2 parties suivantes   il se coupe en 2 triangles rectangles   il perd l’équilibre  les 3 parties suivantes sont comme de petits triangles isocèles formés à partir des morceaux épars.

Chacun de ces angles est un point de vue de muet.

Car il y a un sacré silence qui pèse sur la bouche des déplacés   comme sur celle des édentés qui n’osent pas sourire   de peur d’éloigner l’amour.

Et une fois que les angles ne coupent plus les langues  dans la 7ème et dernière partie   j’ai tracé un cercle pour les contenir   c’est pourquoi le dernier poème que j’ai écrit en Algérie pour une tante à Michel qui est morte depuis    est totalement rond.

Et comme la dernière partie est un cercle qui vient faire le tour des différents angles   le livre n’a ni début ni fin   d’ailleurs il commence par la fin   la 1ère partie c’est la fin des Abeilles.

La 2ème c’est la perte d’équilibre    le travail à la cité de la Rouguière    au bord de l’Huveaune   le fleuve-poubelle  et la guerre menée par Israël au Liban.

la 3ème  c’est la fermeture de l’Imprimerie Cholet rue Breteuil   j’avais travaillé 17 ans avec le même imprimeur   c’était une imprimerie importante à Marseille   elle avait ouvert après la guerre   c’était le père de monsieur Cholet qui l’avait ouverte et monsieur Cholet avait commencé à y travailler à l’âge de 14 ans . J’ai passé beaucoup de temps dans cette imprimerie et j’ai appris beaucoup de choses sur la lettre et la justification. Sur le papier   la matière du papier   le support du poème.

La 4ème c’est le déplacement à Nijni-Novgorod   c’est la troisième fois que je me rends en Russie  c’est la troisième fois que dans ce pays étranger les gens me parlent dans leur langue croyant qu’elle est la mienne    elle a dû l’être. L’exercice de la traduction est le même que celui de l’écriture   il me faut traduire ce que je ne sais pas dire.

La 5ème est un court aller-retour entre le poème et le poème.

La 6ème c’est le dernier petit triangle qui à force de patience a réussi à retrouver les bris du miroir et a obtenu une remise de peine afin de ne pas purger encore 7 ans de malheur !

La dernière partie   commence  à Alger   je parle avec les algérois    ils parlent tous ma langue   la langue de l’oppresseur   elle reste écrite.   ils m’expliquent que c’est plus facile pour eux de lire en français   de parler en français.    la langue arabe   ils la connaissent   mais malgré tout   elle reste une étrangère. Les enfants de mon école  vivent la même chose avec la langue hébraïque   elle leur est courante et absolument étrangère.

Le cercle  lui   participe à sa perfection.

Mais parfois il faut sauter en marche pour ne pas recommencer le même trajet.

Marseille, juin 2013

FGL